Xi Jinping s'offre une présidence à vie
Les députés ont voté dimanche la fin de la limite de deux mandats. Seules quelques critiques se sont fait entendre.
Ce fut une journée historique pour la Chine, mais il est encore difficile de mesurer à quel point elle changera le destin du pays. Le faux suspense a été levé: Xi Jinping pourra, s'il le souhaite, rester président à vie. Par 2958 voix pour, 2 contre et 3 abstentions, les députés ont plébiscité dimanche la suppression de la limite de deux mandats de cinq ans dans la Constitution. Le résultat de ce vote à bulletins secrets a été salué par des applaudissements nourris, dans l'imposant décor du Palais du peuple, à Pékin.
Arrivé à la tête de l'État en 2013, «l'empereur rouge», par ailleurs secrétaire général du Parti communiste chinois (PCC) et chef des armées, est parvenu à s'imposer à une vitesse stupéfiante comme le dirigeant le plus puissant depuis Mao Tsé-toung. Lors du congrès du PCC en octobre, il n'avait pas promu de possible héritier, signalant ainsi qu'il ne comptait pas lâcher les rênes de sitôt. Mais sa volonté de modifier la Constitution, rendue publique le 25 février, a pris tous les observateurs de court.
«Il y avait un consensus pour donner du temps à Xi Jinping pour achever sa tâche»
Dou Yanli, représentante du Shandong
La propagande officielle martèle que ce changement améliorera la stabilité du régime. Plusieurs députés, sélectionnés par le Parti pour leur fidélité, ont fait part de leur enthousiasme. «Il y avait un consensus pour donner du temps à Xi Jinping pour achever sa tâche», insiste Dou Yanli, représentante du Shandong. L'amendement intègre aussi dans l'article premier de la Constitution le «rôle dirigeant» du Parti communiste, verrouillant ainsi durablement l'emprise de ce dernier et celle de son numéro un sur l'État. Ce texte de référence contiendra aussi la «pensée» de Xi Jinping, une théorie qui avait déjà été inscrite dans la charte du Parti cet automne, donnant au maître de Pékin un statut équivalent à celui de Mao.
Le spectre de la Révolution culturelle
Face à la répression implacable qui s'abat sur toute voix dissidente, ceux qui osent critiquer le leader communiste sont rarissimes. Mais, fait révélateur de leur malaise, quelques personnalités ont pourtant pris le risque de dénoncer ces dernières semaines une régression politique. Li Datong, ancien rédacteur en chef d'un supplément du Quotidien de la jeunesse de Chine, a appelé sur la messagerie WeChat les députés à rejeter la suppression de la limite des mandats. Voulu par l'ancien dirigeant Deng Xiaoping, cet article, le «seul de la Constitution à être véritablement appliqué depuis 1982», était la règle juridique la «plus efficace» pour empêcher le retour d'un dictateur comme Mao, explique l'ancien journaliste de 66 ans, remercié en 2005 pour sa trop grande liberté de ton.
«Quarante-deux ans plus tard, à l'ère de l'Internet et de la mondialisation, un nouveau Grand leader, un nouveau tyran à la Mao se lève sur la Chine»
Le dissident Chinois Hu Jia
Il craint qu'un Xi Jinping tout-puissant et objet d'un culte de la personnalité grandissant ne commette des «erreurs» menant au «chaos». Après le Grand Bond en avant, qui entraîna une famine faisant des dizaines de millions de morts, le Grand Timonier, «aurait dû démissionner, mais il ne l'a pas fait, et nous avons subi la Révolution culturelle!», s'insurge cet intellectuel, qui assure que «90 % de ses amis» partagent son opinion. Tout aussi remontée, Li Yinhe, une sociologue réputée, a indiqué sur Weibo, le Twitter chinois, qu'un oui massif n'exprimerait pas «la volonté du peuple», mais celle «des dirigeants».
Preuve que la modification ne fait pas l'unanimité, une vague de réactions acerbes ou ironiques a déferlé sur l'Internet chinois, après l'annonce du projet. Mais elles ont été rapidement effacées par les censeurs. Dans les rues de Pékin, beaucoup de personnes interrogées disent ne pas s'intéresser à la politique. Quelques-uns soutiennent la réforme. «C'est une bonne nouvelle. Xi Jinping a bien travaillé pour lutter contre la corruption», réagit une employée d'une entreprise publique.
«Cette prétendue assemblée populaire n'a rien à voir avec la volonté du peuple»
Le dissident Chinois Hu Jia
Mais chez d'autres, la mesure ne passe pas. «C'est la première fois de ma vie que j'ai vraiment peur: personne ne peut prévoir ce qui va se passer. Tout cela fait remonter beaucoup de mauvais souvenirs de l'époque de Mao», confie un journaliste de 35 ans travaillant pour un média chinois. Comme beaucoup de ses proches, il a commencé à «chercher sérieusement» un travail à l'étranger. «Les jeunes vont chercher à s'en aller, j'en suis convaincu», abonde un homme de 29 ans, travaillant dans le marketing. «Je ne comprends pas ce retour en arrière. On ne se dirige pas forcément vers une nouvelle Révolution culturelle, mais la paranoïa de la censure sur Internet rappelle de plus en plus cette époque», ajoute-t-il.
Très en colère, une informaticienne de 28 ans déplore une décision «très grave, car elle envoie le message que le dictateur peut modifier les règles comme il veut, comme à l'époque où Mao incarnait la loi». Elle dénonce également un recul «spectaculaire» sur le terrain des droits de l'homme. Dans un autre quartier, un chauffeur de taxi livre aussi le fond de sa pensée: «Il est dangereux de concentrer tous les pouvoirs dans les mains d'une seule personne. Je crois que mes confrères sont pratiquement tous critiques, mais on a trop peur de parler politique.»
L'étendue de la grogne est difficile à évaluer. Mais elle semble surtout venir de franges de l'élite intellectuelle, à en croire plusieurs experts. «Les mécontents sont une petite minorité. La plupart des gens ne saisissent pas les implications de la réforme», avance Chen Jieren, un commentateur politique indépendant. Xi Jinping est soutenu par une grande partie des Chinois, qui apprécient sa chasse aux cadres corrompus, ainsi que sa capacité à rendre à la Chine sa fierté à l'international.
Le danger, pour le régime, serait toutefois de perdre le soutien de sa classe supérieure - cruciale pour son développement -, alors qu'un ralentissement économique se profile. «C'est la grande question pour l'avenir, d'autant que les marges de libertés individuelles dont disposaient ces catégories aisées se sont beaucoup réduites», relève François Godement, directeur Asie et Chine à l'European Council on Foreign Relations (ECFR). «Une partie des élites pourrait chercher à quitter le pays, mais Xi Jinping semble en avoir conscience, ce qui pourrait expliquer les restrictions depuis l'été 2017 sur la sortie des capitaux chinois à l'étranger», complète Antoine Bondaz, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique.
L'avènement de Xi Jinping qui veut faire de son pays une superpuissance dotée d'une armée de «classe mondiale» aura aussi des répercussions sur le monde. Intraitable sur ses revendications territoriales, il cherche, en outre, à ce que le géant communiste «devienne une source d'inspiration pour d'autres pays, en matière de développement économique, mais aussi de gouvernance intérieure», souligne Alice Ekman, responsable des activités Chine à l'Ifri, pour qui la «lutte d'influence entre régimes autoritaires et démocraties s'est renforcée ces cinq dernières années, sous l'effet en particulier de l'activisme de la Chine». Reste à savoir si ce mouvement va s'accélérer davantage.
Le retour de l'ex-star de l'anticorruption
La retraite de celui qui était considéré comme l'homme le plus puissant de Chine après Xi Jinping ces dernières années aura été de courte durée. À 69 ans, Wang Qishan, ex-tsar de la lutte anticorruption et proche allié du numéro un chinois, pourrait être nommé prochainement vice-président. Le duo qu'il formerait avec le maître de Pékin pourrait se maintenir indéfiniment au pouvoir, les députés ayant offert cette possibilité tant au président qu'au vice-président.
Atteint par la limite d'âge tacite de 68 ans, Wang Qishan n'avait pas été reconduit au sein du comité permanent du bureau politburo, l'instance suprême du pouvoir, en octobre. Mais il avait été désigné en janvier comme député de l'Assemblée nationale populaire (ANP). Preuve qu'une nomination importante est anticipée, il était assis dimanche non loin de Xi Jinping lors du vote sur la Constitution.
Surnommé le «pompier en chef», en raison de sa capacité à gérer les crises, Wang Qishan a supervisé pendant cinq ans la vaste chasse aux cadres corrompus lancée par Xi Jinping. Le leader communiste pourrait avoir besoin de son homme de confiance pour accélérer une bataille qui, selon ses détracteurs, lui a aussi largement permis d'écarter des rivaux. Mais l'ancien vice-premier ministre en charge de l'Économie serait aussi utile pour aider à dégonfler la dette colossale du pays. Ou pour piloter les relations avec les États-Unis, dans un contexte de menace de guerre commerciale, puisqu'il a établi, ces dernières décennies, des liens précieux avec l'élite américaine.
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