par troubaa Jeu 12 Mai 2016 - 20:15
Que reste-t-il de la loi El Khomri ?
Le gouvernement va passer en force à l'Assemblée avec le 49.3, mais a une nouvelle fois édulcoré sa réforme. Revue d'un texte réduit comme peau de chagrin.
PAR MARC VIGNAUD
Y a-t-il "inversion de la hiérarchie des normes" ?
L'article 2, très controversé au sein de la majorité socialiste, consacre la primauté des accords d'entreprise sur les accords de branche en matière d'organisation et de temps de travail. En clair, cet article, au fondement de la loi El Khomri, autorise les entreprises qui signent un accord avec une majorité syndicale à fixer des dispositions moins favorables aux salariés que l'accord de branche. Une telle logique fait hurler la gauche de la gauche, qui y voit une diabolique "inversion de la hiérarchie des normes" censée encourager une course au moins-disant social entre les entreprises.
Commandé pour le gouvernement pour préparer sa loi, le rapport Combrexelle, publié en septembre 2015, rappelle pourtant que cela existe déjà ! Depuis une loi de 2008, l'accord d'entreprise détermine le contingent d'heures supplémentaires, la répartition et l'aménagement des horaires. Si bien que le rapport publié en septembre 2015 soulignait que "la partie la plus souple du code du travail actuel est celle consacrée au temps de travail puisqu'elle procède à ce que les spécialistes dénomment une inversion des normes au profit de l'accord d'entreprise"…
Toujours depuis 2008, les entreprises peuvent déjà négocier une réduction de la majoration des heures sup à 10 % contre 25 % ou 50 % en l'absence d'accord. La seule nouveauté de la loi El Khomri en la matière est de faire sauter le droit de veto qu'avaient jusqu'à présent les branches. Une tempête dans un verre d'eau ?
Il faut d'ailleurs rappeler que, depuis 2004, l'accord d'entreprise peut déroger à un accord de niveau de branche dans quasiment tous les domaines, excepté en matière de salaire minimum, sauf si la branche en dispose autrement.
Le rapport Combrexelle proposait simplement de faire sauter cette possibilité de veto des branches en matière de condition et de temps de travail, d'emploi et de salaires. Le gouvernement avait finalement restreint ce champ au temps et à l'organisation du travail… Pour calmer les frondeurs, il a même concédé au dernier moment que les accords d'entreprise soient envoyés aux branches pour que celles-ci puissent faire des "recommandations", même si ces dernières sont non contraignantes.
Quoi qu'il en soit, la durée légale du travail reste fixée à 35 heures, même si, dans les faits, les salariés à temps plein travaillent en moyenne plus longtemps chaque semaine.
Comment les accords d'entreprise seront-ils validés ?
Pour faire avaler l'élargissement du rôle des accords d'entreprise, le gouvernement avait dès le départ jugé nécessaire de les faire valider par les syndicats représentant au moins 50 % des suffrages exprimés en faveur des organisations représentatives aux élections professionnelles, contre 30 % des suffrages exprimés dans la législation actuelle. Mais une telle disposition risquait paradoxalement de rendre la conclusion des accords plus difficile !
Il a donc ajouté la possibilité de procéder à un référendum au cas où les syndicats minoritaires signataires d'un accord représentant au moins 30 % des voix le demandaient. Cette disposition est farouchement combattue par la CGT et FO qui y voient un contournement des syndicats.
Que se passe-t-il en cas d'absence d'accord d'entreprise ?
Ce sont alors les dispositions dites "supplétives" du Code du travail qui s'appliqueront. Elles ont été entièrement rédigées à droit constant dans la seconde version du projet de loi. Pour le dire autrement, les dispositions actuelles du code du travail ne changeront pas, alors que le gouvernement avait, dans sa première version du texte, caressé l'idée d'autoriser les PME à négocier avec chacun de leurs salariés leur passage au forfait jour, régime dans lequel les employés ne comptent pas leurs heures chaque jour.
Le patronat a donc beau jeu de dire que les PME sont les grandes oubliées de la réforme. En l'absence de représentants syndicaux, elles resteront sur le bord de la route, obligées d'appliquer les dispositions "supplétives", écrites à droit constant. Le gouvernement a bien prévu le recours à la technique du mandatement, qui consiste à faire valider l'accord par un représentant syndical extérieur aux entreprises, mais celles-ci n'en veulent pas, de peur de "faire rentrer le loup dans la bergerie".
Des licenciements économiques plus faciles pour les entreprises ?
C'était LA surprise du chef. La mesure que personne n'attendait et qui a été rajoutée au dernier moment au projet de loi. C'est aussi celle qui a été le plus édulcorée au dernier moment, malgré le passage en force du gouvernement à l'Assemblée nationale avec l'article 49.3.
Exit la réforme du périmètre géographique considéré pour apprécier la validité d'un licenciement économique. Ce ne sera finalement pas la France. Un groupe ne pourra donc toujours pas réorganiser une activité en difficulté dans l'Hexagone au motif qu'il fait du profit grâce à ses autres activités mondiales… Ce frein aux investissements productifs étrangers est maintenu pour tenter de concilier les plus à gauche de la majorité.
Seule restera dans la loi l'inscription des motifs qui justifieront, aux yeux du juge, les difficultés économiques et donc l'utilisation légitime du licenciement économique, afin de rassurer les entreprises sur leur capacité à y recourir sans risquer une annulation. Parmi ces motifs figurent « une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires, des pertes d'exploitation, une dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation ou tout élément de nature à justifier de ces difficultés ».
La baisse du chiffre d'affaires sera considérée comme recevable si elle dure au minimum un trimestre pour une entreprise de moins de 11 salariés, deux trimestres consécutifs entre 11 et moins de 50 salariés et trois trimestres entre 50 et 300 salariés. Le nombre passe à quatre trimestres au-delà de 300 salariés. Cette différenciation en fonction de la taille de l'entreprise a été imposée par le rapporteur du texte à l'Assemblée, en commission des Affaires sociales.
Reste à savoir si le texte ainsi réécrit sera validé par le Conseil constitutionnel. Le barème des prud'hommes de la loi Macron avait été retoqué justement parce qu'il prévoyait des indemnités différentes pour les salariés selon la taille de leur entreprise. Les Sages avaient conclu à une rupture de l'égalité de traitement.
À quoi servent les "accords offensifs" ?
Il s'agit d'un dispositif dans la droite ligne des accords de maintien de l'emploi dits "défensifs", négociés en 2013 par le patronat et les syndicats. Concrètement, une entreprise pourra renégocier le temps de travail et les salaires, dans le but de conquérir de nouveaux marchés et de signer de nouveaux contrats. Seule limite, le salaire mensuel du salarié ne pourra pas baisser. Mais son salaire horaire, lui, pourra mécaniquement diminuer si son temps de travail augmente alors que son salaire mensuel reste le même. Pierre Gattaz, le patron du Medef, y voit une très bonne mesure qui permet, concrètement, de "contourner les 35 heures".
Un salarié qui refuserait de se voir appliquer l'accord pourra être licencié par l'employeur. Mais il s'agira alors d'un licenciement économique, plus protecteur pour l'employé (mais assumé par Pôle emploi, pas par l'entreprise), et non d'un licenciement pour motif personnel comme prévu par la version initiale du texte de loi.
Y aura-t-il un plafonnement des indemnités aux prud'hommes ?
Dès la présentation officielle du projet de loi, fin mars, le gouvernement a renoncé au plafonnement des indemnités prud'homales en cas de licenciement jugé sans fondement (sans "cause réelle et sérieuse") aux prud'hommes. Cette mesure avait pourtant été adoptée dans la loi Macron avant d'être retoquée par le Conseil constitutionnel au motif qu'elle instaurait des plafonds différents en fonction de la taille de l'entreprise. Le plafonnement a été remplacé par un barème indicatif.
Censée instaurer une sorte de "flexisécurité" à la française, la loi El Khomri devait aussi protéger davantage les personnes contre le risque accru de perte de leur travail dans un monde où l'emploi à vie est généralement considéré comme dépassé.
Que prévoit le compte personnel d'activité (CPA) ?
À partir de 2017, le CPA regroupera, tout au long de la vie, le compte personnel de formation (CPF), le compte de prévention de la pénibilité et un nouveau "compte engagement citoyen". Dès 2018, les travailleurs indépendants en bénéficieront aussi. Mais le patronat craint de voir arriver des salariés avec un sac à dos rempli de droits, ce qui pourrait dissuader d'embaucher, de peur qu'ils ne partent tout de suite en formation.
Ce n'est, pour l'heure, qu'une coquille vide à remplir, même si le gouvernement a prévu, pour calmer l'opposition des syndicats étudiants et lycéens, de créditer le compte des salariés sans qualification à raison de 40 heures par an et jusqu'à 400 heures (contre 24 heures actuellement jusqu'à 150 heures). Il a également promis aux demandeurs d'emploi non qualifiés un capital supplémentaire destiné à les faire progresser d'un niveau de qualification. Reste à trouver le financement. Enfin, Manuel Valls s'est engagé à généraliser la garantie jeune destinée aux moins de 26 ans en situation de précarité qui ne sont ni en emploi ni en formation. Ces derniers bénéficieront d'un accompagnement personnalisé et d'une aide financière pour faciliter leur accès à l'emploi.
Les CDD seront-ils surtaxés ?
Non. Le gouvernement a renoncé au dernier moment à conserver cette concession faite à la rue. Il n'imposera donc pas d'obligation aux partenaires sociaux responsables des règles de l'assurance chômage et des cotisations afférentes. Il s'agit d'un geste envers le patronat : les représentants des entreprises étaient vent debout contre cette mesure. Il ne s'agissait pourtant que d'une modulation des contributions patronales dont le principe avait été acté en 2013 : certains CDD étaient surtaxés alors que les CDI accordés aux moins de 26 ans bénéficient d'une exemption provisoire.
http://www.lepoint.fr/economie/que-reste-t-il-de-la-loi-el-khomri-12-05-2016-2038635_28.php
Donc cela ne changera absolument rien pour l'immense majorité des entreprises qui 'nont pas de représentation syndicale.
Le referendum d'initiative patronale n'etant toujours pas reconnu.